SÉMIOTIQUE
dictionnaire raisonné de la théorie du langage
 
GÉNÉRATIF
(parcours ~) adj.
Generative trajectory
 
 
  1. 1.
  2. Nous désignons par l'expression parcours génératif l'économie* générale d'une théorie* sémiotique (ou seulement linguistique), c'est-à-dire la disposition de ses composantes* les unes par rapport aux autres, et ceci dans la perspective de la génération*, c'est-à-dire en postulant que, tout objet sémiotique pouvant être défini selon le mode de sa production*, les composantes qui interviennent dans ce processus s'articulent les unes avec les autres selon un « parcours » qui va du plus simple au plus complexe, du plus abstrait* au plus concret*. L'expression « parcours génératif » n'est pas d'un usage courant : la grammaire générative* emploie dans un sens comparable le terme de modèle*, en parlant, par exemple, du modèle standard ou du modèle élargi (ou étendu). Le terme de modèle ayant de nombreuses autres utilisations, nous avons préféré présenter sous la présente rubrique la problématique de la disposition générale d'une théorie.
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  5. La linguistique générative a proposé successivement trois schémas représentant ce que nous appelons le parcours génératif. Les deux premiers, d'inspiration purement syntaxique, reposent essentiellement sur la distinction des structures profondes* et des structures de surface*. Si les structures syntaxiques profondes sont générées par la composante de base*, les structures de surface résultent des opérations (formulées en règles) du système transformationnel. A ces deux niveaux sont alors rattachées les composantes sémantique (traitant de l'interprétation* sémantique) et phonologique (concernant l'interprétation phonologique) la composante sémantique (grâce au lexique*, au sens des générativistes) est associée aux structures profondes, alors que les composantes phonologique et phonétique sont situées au niveau des structures de surface. C'est essentiellement l'emplacement des deux composantes non syntaxiques, qui fait l'originalité de ce modèle standard, et qui a soulevé les plus vives objections. La disposition selon laquelle la sémantique se trouve « accrochée » aux structures profondes, et la phonologie aux structures de surface, repose sur l'hypothèse formulée par N. Chomsky (à la suite de Katz et Postal) selon laquelle la structure de surface n’est pas pertinente* pour l'interprétation sémantique, et que la structure profonde ne l'est pas pour l'interprétation phonologique. Du point de vue sémantique, cela revient à dire qu'une suite de transformations syntaxiques n'apporte aucun supplément de signification (autre que stylistique) et que, par conséquent, une forme de surface est sémantiquement équivalente à une forme profonde. L'hypothèse n'étant pas prouvée et allant même à l'encontre du bon sens (intuitif), le modèle standard a été élargi par Chomsky lui-même qui a accepté de situer l'interprétation sémantique tout au long du parcours transformationnel et, plus précisément, aux deux niveaux — profond et superficiel — des structures syntaxiques.
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  8. Le rôle de plus en plus important accordé, dans le cadre de la linguistique générative américaine, à la composante sémantique, aboutit à une sorte de paradoxe : la sémantique, un temps exclue, non seulement remonte, comme on l'a noté, à la surface, mais elle arrive encore à « approfondir » davantage les structures profondes dont les analyses découvrent des niveaux de « représentation » sémantiques de plus en plus abstraits*, rejoignant les organisations logiques élémentaires. Ceci amène la sémantique* générative à reconsidérer le parcours génératif dans son ensemble : les instances génératives les plus profondes apparaissent, dès lors, comme constituées par des formes logico-sémantiques (ce qui permet de faire l'économie du concept d'interprétation) qui, soumises à des transformations, génèrent les formes de surface; la composante phonologique, intervenant à ce niveau, permet d'aboutir finalement à la représentation phonétique de l'énoncé. Ce modèle n'est toutefois qu'approximatif, la sémantique générative, malgré des recherches nombreuses et diversifiées, n'ayant pas encore réussi à construire une théorie générale du langage.
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  11. La théorie sémiotique que nous cherchons à élaborer, bien que d'inspiration générative, est difficilement comparable aux modèles générativistes, et ceci parce que son projet en est différent : fondée sur la théorie de la signification, elle vise à rendre compte de toutes les sémiotiques (et pas seulement des langues naturelles) et à construire des modèles susceptibles de générer des discours* (et non des phrases). Considérant, d'autre part, que toutes les catégories*, même les plus abstraites (y compris les structures syntaxiques) sont de nature sémantique et, de ce fait, signifiantes, elle n'éprouve aucune gêne à distinguer, pour chaque instance du parcours génératif, des sous-composantes syntaxiques et sémantiques (stricto sensu).
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  14. Une telle théorie sémiotique distingue trois champs problématiques autonomes, qu'elle considère comme des lieux d'articulation de la signification et de construction métasémiotique : les structures sémio-narratives, les structures discursives et les structures textuelles. Toutefois, alors que les deux premières formes peuvent être considérées comme deux niveaux de profondeur superposés, la problématique de la textualisation* est tout à fait différente. La textualisation, en effet, comme mise en texte linéaire (temporel ou spatial, selon les sémiotiques) peut intervenir à tout moment du parcours génératif : non seulement les discours figuratifs ou non figuratifs (plus ou moins profonds, dans le cadre de la sémantique* discursive) sont textualisés, mais les structures logico-sémantiques les plus abstraites (dans les langages formels , par exemple) sont textualisées, elles aussi, dès l'instant où elles sont « couchées » sur le papier. Les structures textuelles, dont la formulation donnera lieu à la représentation* sémantique — susceptible de servir de niveau profond aux structures linguistiques génératrices des structures linguistiques de surface (dans la perspective de la grammaire générative) —, constituent par conséquent un domaine de recherches autonomes (la linguistique dite textuelle s'y emploie, entre autres), mais elles se situent, à vrai dire, en dehors du parcours génératif proprement dit.
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  17. Les structures sémio-narratives, qui constituent le niveau le plus abstrait, l'instance ab quo du parcours génératif, se présentent sous forme d'une grammaire sémiotique et narrative qui comporte deux composantes — syntaxique et sémantique — et deux niveaux de profondeur : une syntaxe* fondamentale et une sémantique* fondamentale (au niveau profond), une syntaxe narrative et une sémantique narrative (au niveau de surface). Quant à leur mode d'existence* sémiotique, ces structures sont définies en se référant tout aussi bien au concept de « langue » (Saussure et Benveniste) qu'à celui de la « compétence » narrative (concept chomskyen, élargi aux dimensions du discours), car elles incluent non seulement une taxinomie*, mais aussi l'ensemble des opérations syntaxiques élémentaires.
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  20. Les structures discursives, moins profondes, sont chargées de reprendre à leur compte les structures sémiotiques de surface et de les « mettre en discours » en les faisant passer par l'instance de l'énonciation*. Elles sont encore, à l'heure actuelle, beaucoup moins élaborées que les structures sémiotiques aussi ne peut-on en indiquer des composantes que comme des domaines en voie d'exploration. On distinguera, pour le moment, la composante syntaxique — ou syntaxe discursive — chargée de la discursivisation* des structures narratives et comportant les trois sous-composantes d'actorialisation*, de temporalisation* et de spatialisation* (champs qu'explorent déjà en partie les logiques temporelle et spatiale) et la composante sémantique — ou sémantique discursive — avec ses sous-composantes de thématisation* et de figurativisation*, visant à produire des discours abstraits ou figuratifs. On voit qu'avec la production des discours figuratifs, le parcours génératif atteint les structures ad quem, ce qui ne veut pas dire que tout processus génératif cherche à produire des discours figuratifs, mais que celui-ci doit être considéré comme la forme sémantiquement la plus concrète et syntaxiquement la plus fine des articulations de la signification; la textualisation et la manifestation* du discours — nous l'avons déjà souligné — pouvant intervenir à tout instant de la génération. Ainsi envisagé, le parcours génératif est une construction* idéale, indépendante des (et antérieure aux) langues* naturelles ou des mondes* naturels où telle ou telle sémiotique peut ensuite s'investir pour se manifester.
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  23. Le tableau suivant visualise la distribution des diverses composantes et sous-composantes de ce « parcours » :
 
 
 
 
     Discours, Narrativité.
 
 
A.J. Greimas - J. Courtès, Sémiotique - dictionnaire raisonné de la théorie du langage, p.157-160