SÉMIOTIQUE
dictionnaire raisonné de la théorie du langage
 
ESPACE n.m.
Space
 
 
  1. 1.
  2. Le terme d'espace est utilisé en sémiotique avec des acceptions différentes dont le dénominateur commun serait d'être considéré comme un objet construit (comportant des éléments discontinus) à partir de l'étendue, envisagée, elle, comme une grandeur pleine, remplie, sans solution de continuité. La construction de l'objet-espace peut être examinée d’un point de vue géométrique (avec l’évacuation de toute autre propriété) du point de vue psychophysiologique (comme émergence progressive des qualités spatiales à partir de la confusion originelle) ou du point de vue socioculturel (comme l'organisation culturelle de la nature* : exemple, l'espace bâti). Si l'on ajoute tous les différents emplois métaphoriques de ce mot, on constate que l'utilisation du terme d'espace sollicite une grande prudence de la part du sémioticien.
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  4. 2.
  5. Dans la mesure où la sémiotique introduit dans ses préoccupations le sujet considéré comme producteur et comme consommateur de l'espace, la définition de l'espace implique la participation de tous les sens, exigeant la prise en considération de toutes les qualités sensibles (visuelles, tactiles, thermiques, acoustiques, etc.). L'objet-espace s'identifie alors en partie avec celui de la sémiotique du monde* naturel (qui traite non seulement des significations du monde, mais aussi de celles qui se rapportent aux comportements somatiques de l'homme), et l'exploration ne l'espace n'est que la construction explicites d'une telle sémiotique. La sémiotique de l'espace s'en distingue toutefois du fait qu'elle cherche à rendre compte des transformations que subit la sémiotique naturelle grâce à l'intervention de l'homme en produisant de nouveaux rapports entre les sujets et les objets « fabriqués » (investis de nouvelles valeurs), lui substitue — en partie au moins — des sémiotiques artificielles.
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  7. 3.
  8. Au sens plus restreint du terme, l'espace n'est défini que par ses propriétés visuelles. C'est ainsi que la sémiotique de l'architecture (et parfois même celle de l'urbanisme) délimite volontairement son objet à la seule considération des formes, des volumes, et de leurs relations réciproques. Cependant, comme il convient de tenir compte des sujets humains qui sont les utilisateurs des espaces, leurs comportements programmés sont examinés et mis en relation avec l'usage qu'ils font de l'espace. Cette inscription des programmes* narratifs dans les espaces segmentés constitue la programmation* spatiale, d'ordre fonctionnel, qui apparaît aujourd'hui comme la composante de la sémiotique de l'espace ayant acquis une certaine efficacité opératoire*. Abstraction faite de son caractère fonctionnel, cette programmation correspond, grosso modo, aux modèles de distribution spatiale, employés dans l'analyse des discours narratifs.
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  10. 4.
  11. Avec une restriction supplémentaire, l'espace se trouve défini par sa seule tridimensionnalité, en valorisant plus particulièrement un de ses axes, la prospectivité (cf. la perspective en peinture), qui correspond, dans le discours narratif, à la linéarité* du texte qui suit le parcours du sujet. Pour sa part, la sémiotique planaire* (bidimensionnelle) est amenée à rendre compte, à partir d'une surface qui n'est qu'un ensemble de configurations et de plages coloriées, de la mise en place des procédures qui permettent de donner au sujet (situé en face de la surface) l'illusion d'un espace prospectif. Les préoccupations, relatives à la construction de la dimension prospective, en focalisant l'attention des chercheurs, expliquent peut-être en partie un certain retard dans la sémiotique planaire.
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  13. 5.
  14. Outre les concepts de spatialisation* et de localisation* spatiale, la sémiotique narrative et discursive utilise aussi celui d'espace cognitif* qui permet de rendre compte de l'inscription dans l'espace des relations cognitives entre sujets (telles que voir, entendre, toucher, s'approcher pour écouter, etc.).
 
 
     Monde naturel, Spatialisation, Localisation spatio-temporelle, Cognitif, Débrayage.
 
 
A.J. Greimas - J. Courtès, Sémiotique - dictionnaire raisonné de la théorie du langage, p.132-134