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Les bases neurologiques des universaux artistiques
de  V.S. S. Ramachandran
(Traduction de l'original en anglais par Anne-Marie Varigault)
 
“L’art est un mensonge qui nous apprend la vérité”
Pablo Picasso
 
Il y a des centaines de sortes d’art ; l’art Classique Grec, l’art Tibétain, l’art Khmer, les bronzes de Chola, l’art de la Renaissance, l’impressionnisme, l’expressionnisme, le cubisme, le fauvisme, l’art abstrait ; la liste est sans fin. Mais en dépit de cette incroyable diversité des styles, y a t’il quelques principes généraux ou des « universaux artistiques » qui transcendent les frontières culturelles ? Pouvons-nous arriver avec une « Science de l’Art » ?
 
 
Science et art semblent des recherches si fondamentalement antithétiques; l’une est la quête de principes généraux là où l’autre est une célébration de l’individualité humaine – si bien que cette notion même de « science de l’art » semble un oxymoron. C’est pourtant ce que je vais suggérer dans ce chapitre - que notre connaissance de la vision humaine et du cerveau est maintenant suffisamment sophistiquée pour que nous puissions spéculer intelligemment sur la base neurologique de l’art et peut-être commencer à construire une théorie scientifique de l’expérience artistique. Dire cela, comme nous verrons, ne déprécie en rien l’originalité de l’artiste individuel, car la manière dont celle-ci développe ces principes universaux dépend entièrement d’elle. (Après tout, connaître les règles de la grammaire ne diminue pas notre appréciation du génie de Shakespeare).
 
 
Il y a aussi d’autres problèmes. Quelle est la différence clé, s’il y en a une, entre l’art « kitsch » et la chose réelle ? Quelques-uns avanceraient que ce qui est kitsch pour une personne peut être du grand art pour une autre – que le jugement est entièrement subjectif. Mais si une théorie de l’art ne peut même pas nous dire comment distinguer objectivement le kitsch du réel, en quoi cette théorie est-elle complète et en quel sens pouvons-nous déclarer avoir vraiment compris la signification de l’art ? Une raison qui nous fait penser qu’il y a vraiment une différence est qu’après avoir un temps aimé le kitsch on peut « mûrir » et aimer l’art réel, mais qu’il est virtuellement impossible de retourner au kitsch après avoir connu un temps les délices du grand art. Cependant la différence entre les deux demeure terriblement insaisissable. Dans ce chapitre je spéculerai sur la possibilité que l’art réel implique le développement « propre » et effectif de certains universaux artistiques, là où le kitsch passe à travers ces propositions - comme pour se moquer des principes sans avoir le courage de les comprendre vraiment.
 
 
Je me souviens de patients ayant eu une attaque de l’hémisphère droit qui, lorsqu’on leur demandait de dessiner un objet (disons un cheval), créaient quelque chose de raisonnablement ressemblant, contenant souvent tous les détails requis. Mais, ce qui manquait, c’était l’essence du cheval ; le dessin semblait presque trop détaillé mais sans vie. Ceci suggère que ce que nous appelons « le sens artistique » se trouve normalement dans l’hémisphère droit -qui était endommagé chez ces patients - et que l’hémisphère gauche n’y « arrive » pas vraiment même quand il fait un effort. Cela m’amène à me demander si le « kitsch » ne serait pas une tentative faible et inefficace de l’hémisphère gauche pour usurper le sens artistique intuitif de l’hémisphère droit. En essayant de peindre ou de sculpter, peut-être que l’hémisphère gauche essaie de « traduire » le code visuel de l’hémisphère droit dans son propre langage de propositions logiques et de règles explicites et qu’évidemment il échoue à le faire – ce qui donne ce que nous appelons le kitsch. Cette explication sonne un peu comme de la pop psychologie mais elle n’est peut-être pas tellement loin de la plaque !
 
 
Chennai (Madras), la ville du sud de l’Inde où je suis né, remonte au premier millénaire avant JC. J’y retourne souvent comme professeur invité à l’Institut de Neurologie pour travailler avec des patients atteints d’une attaque, ou souffrant de membres fantômes à la suite d’une amputation, ou d’une perte de sensibilité due à la lèpre. Pendant une visite de trois mois, nous traversions une période de sécheresse ; il n’y avait pas beaucoup de patients à voir. Ceci me laissa du temps pour des promenades tranquilles au temple de Shiva dans le voisinage de Mylapore, échapper à l’effervescence et à l’agitation de la ville et revivre des souvenirs d’enfance. J’ai de merveilleux souvenirs de ma mère m’emmenant là chaque vendredi pour prier tandis qu’elle m’expliquait le symbolisme des différents Dieux et Déesses et les milliers de mythes et de légendes qu’ils évoquaient. Ce temple porte une inscription près de l’entrée qui dit que les fondations furent creusées durant le deuxième et le troisième siècle avant JC. (Le mot « Mylanore » est mentionné dans ses écrits par le Grec Ptolémée). Durant une visite, à l’intérieur du temple, près d’un des reliquaires intérieurs, un prêtre Brahmane chantait les védas en sanscrit pour un groupe de jeunes disciples - de la même façon que ses ancêtres auraient pu le faire quatre mille ans avant. C’est là l’une des choses les plus frappantes à propos de l’Inde; il y a un véritable sens de l’intemporalité. On a dit que c’est la plus ancienne culture vivante au monde. Shiva, qui a été trouvée dépeinte sur des sceaux de stéatite vieux de cinq mille ans dans le Nord de l’Inde, est aujourd’hui encore vénérée et célébrée dans des mythes, des légendes et dans l’art (la Grèce aussi a une riche mythologie mais personne n’y vénère plus Zeus).
 
 
Il me vint une pensée étrange quand je regardais dans le temple les sculptures de pierre et de bronze (ou « idoles » comme les anglais avaient l’habitude de les appeler). En Occident on les trouve la plupart du temps dans les musées et les galeries et on en parle comme de « l’art indien ». Cependant j’ai grandi en les priant quand j’étais enfant et je n’y ai jamais pensé comme à de l’art. Elles sont si bien intégrées dans le culte quotidien, la musique, la danse et dans le tissu même de la vie en Inde, qu’il est difficile de savoir où l’art finit et où la vie commence ; les rives de l’existence ne sont pas séparées comme elles le sont ici en Occident.
 
 
Grâce à mon éducation occidentale, jusqu’à cette visite à Chennai, j’avais une vision plutôt « coloniale » des sculptures indiennes. Je me les représentais surtout comme de l’iconographie religieuse ou de la mythologie, plutôt que comme du grand art. Cependant lors de cette visite, ces images ont eu un impact profond sur moi et ont commencé à me hanter même dans mes rêves. Un jour, en me réveillant, j’eus une révélation et je commençai à voir ces sculptures comme des œuvres d’art indiciblement belles, et non plus comme des objets religieux. Ce fut le début d’une histoire d’amour avec l’art qui s’est prolongée sans discontinuer ces cinq dernières années.
 
 
En tant qu’homme de science j’ai voulu savoir pourquoi. Pourquoi ces images et d’autres grandes œuvres d’art sont-elles si belles ? Comment le cerveau répond-il à la beauté ? Que voulait dire Keats quand il disait « La beauté est la vérité et la vérité est la beauté » ? Je me mis à lire avec frénésie ce qui concernait l’histoire des idées sur l’art en général et l’art indien en particulier. Et je fus complètement captivé.
 
 
Quand les Anglais arrivèrent en Inde à l’époque victorienne, ils considérèrent l’étude de l’art indien principalement sous l’angle de l’ethnographie et de l’anthropologie. (Ce qui reviendrait à mettre Picasso dans la section anthropologique du musée national de Delhi). Ils étaient attirés par la nudité de ce qu’ils rencontraient et référaient souvent aux sculptures comme « primitives » ou « non réalistes ». Par exemple la sculpture en bronze de Parvati (figure 1), qui remonte à l’apogée de l’art de l’Inde du sud, durant la période Chola (12ème siècle après JC), est considérée en Inde comme l’incarnation de la sensualité féminine, de la grâce, de la pose, de la dignité et du charme. En fait de tout ce qui est féminin. Cependant quand les Anglais la regardèrent ainsi que d’autres sculptures semblables (figure 2), ils protestèrent que ce n’était pas de l’art parce qu’elle n’était pas réaliste – les sculptures ne ressemblaient pas à des femmes réelles. Les seins et les hanches étaient trop larges et la taille trop étroite. De la même façon, ils firent remarquer que les peintures « miniatures » de l’école Mogol ou du Rajasthan manquaient souvent de perspectives - elles étaient primitives parce qu’elles n’étaient pas assez réalistes.
 
 
Les nuances métaphoriques de l’art indien étaient aussi complètement perdues pour les historiens de l’art occidental. Lord Birdwood, un barde éminent, considérait l’art Indien comme du simple « artisanat » et trouvait repoussant le fait que de nombreux dieux aient une multiplicité de bras (signifiant souvent de façon allégorique leurs nombreux attributs divins). Il parlait de la plus grande icône de l’art indien, Shiva ou Nataraja dansant, comme d’« une monstruosité multi brachiale ». Assez bizarrement il n’avait pas la même opinion des anges dépeints dans l’art de la Renaissance - des enfants humains avec des ailes bourgeonnant sur leurs scapulaires, ce qui était probablement aussi monstrueux pour un œil indien.
 
 
Ces exemples montrent clairement que dans l’art il ne s’agit pas de réalisme ; au contraire, il s’agit d’une exagération délibérée et d’une distorsion de la réalité. Cependant évidemment il ne suffit pas de juste distordre une image au hasard pour appeler cela de l’art. Par conséquent la question est quels types de distorsion sont effectifs ? Y a-t-il des « règles » que l’artiste développe, soit consciemment ou inconsciemment, pour changer l’image d’une façon systématique ? Et s’il en est ainsi, comment ces règles sont-elles universelles ? La plupart des exemples que j’ai utilisés pour illustrer ces règles viennent de l’art indien, parce que c’est celui qui m’est le plus familier. Mais je crois fortement que les mêmes principes s’appliquent à n’importe quel style artistique, que ce soit l’impressionnisme, Henri Moore, l’art chinois ou le cubisme.
 
 
Tandis que je me bataillais avec cette question et que je me plongeais dans d’anciens manuels Indiens sur l’art et l’esthétique, j’ai souvent remarqué le mot rasa. Ce mot sanscrit est difficile à traduire mais il veut approximativement dire « capturer l’essence même, l’esprit même de quelque chose, de façon à provoquer une disposition spécifique ou une émotion dans le cerveau de celui qui regarde ». Cette phrase toute entière est contenue dans le mot rasa.
 
 
Les rasas sont traditionnellement supposés être neuf (il y a Shringara ou l'humeur amoureuse, Hasya ou le comique, Randra ou la bravoure, Adbhuta ou la stupéfaction etc...). Mais le terme est quelquefois employé de façon imprécise pour dénoter toute humeur, émotion ou sentiment que l'artiste a su communiquer avec succès - et c'est en ce sens que je l'employerai ici, comme rampe de lancement pour spéculer à propos de la neurologie de l'art.
 
 
Ainsi rasa détient la clé. J’ai réalisé que si vous voulez comprendre l’art vous devez comprendre ce qu’est rasa et comment le circuit neurologique dans le cerveau le fait apparaître. Une après-midi, alors que j’étais d’humeur farfelue, je m’assis à l’entrée du temple et pris en notes ce que je pensais pouvoir être les « huit lois universelles de l’art », analogues au chemin octuple du Bouddha vers la sagesse et la lumière. (Plus tard j’en vins à ajouter deux lois; le nombre exact est arbitraire). Ce sont les règles que l’artiste développe pour créer des images visuellement plaisantes qui titillent de façon optimale les régions visuelles (sans intention de jeu de mots) du cerveau, mieux qu’il ne le pourrait s’il utilisait des images « réalistes » ou des objets réels.
 
 
Faire valoir qu’il pourrait y avoir des universaux dans l’art ne diminue en rien le rôle important de la culture dans la création et l’appréciation de l’art. En fait si ceci n’était pas vrai il n’y aurait pas différents styles d’art - l’art de la Renaissance, l’impressionnisme, le cubisme, l’art indien etc. En tant que scientifique, cependant, mon intérêt ne se situe pas dans les différences entre les différents styles artistiques mais dans les principes qui transcendent les barrières culturelles.
 
 
Voici une liste tentative de mes dix lois de l’art :
 
 
1) un changement majeur
2) le groupement
3) le contraste
4) l’isolation
5) résoudre le problème perceptuel
6) la symétrie
7) l’horreur des coïncidences/du point de vue général
8) la répétition, le rythme et la méthode
9) l’équilibre
10) la métaphore
 
 
Mais il n’est pas suffisant de se contenter de lister ces lois ou de les décrire en détails ; nous avons besoin d’une perspective biologique cohérente pour les penser. En particulier, quand nous explorons quelque trait humain universel comme l’humeur, la musique, l’art, le langage, il faut garder à l’esprit trois questions basiques - pour s’exprimer sommairement : quoi, pourquoi, et comment. Tout d’abord, quelle (quoi) est la structure interne logique du trait particulier que vous regardez (ce qui correspond en gros à ce que j’appelle lois) ? En second lieu, pourquoi ce trait particulier a t’il la structure logique qu’il a ? Quelle est la fonction biologique qu’il a développée ? En troisième lieu, comment est le trait ou la loi médiatisée par la machinerie neurologique dans le cerveau ?
 
 
Laissez-moi illustrer cela par un exemple concret - la loi du « groupement » découverte par les psychologues de la Gestalt au début du siècle dernier. La figure 4 en montre un exemple frappant. Tout ce que vous voyez d’abord est un ensemble de taches irrégulières, mais après quelques secondes vous commencez à grouper quelques-unes de ces taches et vous vous mettez à voir un chien dalmatien reniflant le sol. Le cerveau « colle » les taches-chien ensemble pour former un objet unique et vous obtenez un « Ah ! » interne de satisfaction comme si vous veniez juste de résoudre un problème. En bref, le groupement fait du bien.
 
 
Le groupement est une loi bien connue utilisée fréquemment à la fois par les artistes et les stylistes de mode. Si vous regardez la peinture de la Renaissance classique figure 5, vous remarquerez de quelle façon la même couleur bleu azur est répétée sur toute la toile - le ciel, les robes et l’eau. Et la même teinte de brun est utilisée pour les vêtements, la peau, le sol etc. L’artiste utilise une gamme limitée de couleurs plutôt qu’une énorme quantité. A nouveau le cerveau apprécie le groupement de taches de couleur semblables; cela « fait du bien », juste comme le fait de grouper les taches de chien a fait du bien et c’est cela que l’artiste exploite. Il n’est pas improbable que l’artiste a répété le même bleu pour les différentes parties de son tableau simplement parce qu’il était pingre ou qu’il n’avait qu’un seul bleu sur sa palette.
 
 
La même chose se passe dans la mode. Quand vous allez chez Nordstrom pour acheter une jupe rouge la vendeuse vous conseillera d’acheter une écharpe rouge et une ceinture rouge pour aller avec. Ou si vous êtes un homme et que vous achetiez un costume bleu, elle vous recommandera une cravate avec des petites taches du même bleu pour aller avec le costume. Mais qu’en est-il réellement ? Y a t’il une raison logique à agir ainsi ? Est-ce que c’est juste du marketing, du matraquage publicitaire, ou est-ce que cela raconte quelque chose de fondamental à propos du cerveau ? Ceci constitue la question du pourquoi.
 
 
La réponse surprenante est que la vision se développa principalement pour déjouer le camouflage et pour détecter les objets dans des scènes qui en étaient chargées. Cela semble aller contre l’intuition, parce que lorsque vous regardez autour de vous les objets sont clairement visibles - certainement pas « camouflés ». Dans un environnement urbain moderne, les objets sont si communs que nous ne réalisons pas que la vision porte essentiellement sur leur détection afin que vous puissiez les éviter, les esquiver, les chasser, les manger, ou s’y unir. Les choses familières apparaissent évidentes; mais pensez juste à l’un de vos ancêtres, perché dans les arbres, essayant de repérer un lion caché derrière un écran de taches vertes (une branche d’arbre en face de lui). Ce qui est visible n’est que plusieurs taches jaunes - des morceaux de lion. Mais le cerveau « dit » (en effet) « Quelle est la probabilité pour que tous ces fragments soient exactement de la même couleur par hasard? Zéro. Ils appartiennent donc probablement au même objet. Donc collons-les ensemble pour voir ce que c’est. Hou-là ! C’est un lion - courons ! » Cette habileté apparemment ésotérique de grouper les taches peut avoir fait toute la différence entre la vie et la mort.
 
 
Il y a peu de chances pour que la vendeuse chez Norsdstrom réalise que lorsqu’elle prend l’écharpe rouge « assortie » à votre jupe rouge, elle est en train d’exploiter un principe profond qui sous-tend l’organisation du cerveau et qu’elle profite du fait que l’évolution de votre cerveau s’est faite à partir de la détection de lions aperçus derrière le feuillage - si bien que grouper « fait du bien ». Evidemment l’écharpe rouge et la jupe rouge ne sont pas un seul objet, si bien que logiquement ils ne devraient pas être groupés, mais ceci ne l’empêche nullement d’exploiter la « loi du groupage » pour créer une combinaison attirante. La même chose vaut pour les tableaux et les caches, ou même les taches d’une même couleur sur différents objets dans un tableau. Le fait est que la règle était statistiquement valable en haut des arbres où nos cerveaux ont évolué. Elle était souvent suffisamment valable pour que le fait de la faire entrer dans les centres visuels du cerveau en tant que loi aidât nos ancêtres à laisser plus de bébés derrière eux et c’est tout ce qui importe dans l’évolution ; le fait qu’un artiste peut mal employer la règle dans un tableau individuel, vous faisant grouper les taches d’objets différents, n’a rien à voir avec la question parce que le cerveau est « roulé » et qu’il prend plaisir au groupement de toute façon.
 
 
Et maintenant nous devons répondre à la question du comment. Quand vous regardez un gros lion aperçu à travers le feuillage, les différents fragments jaunes du lion occupent des régions du champ visuel qui sont largement séparées - cependant votre cerveau les colle ensemble. Comment ? Chaque fragment stimule une cellule distincte (ou de petits groupes de cellules) dans des endroits largement séparés du cortex visuel et des régions de couleur du cerveau. Chaque cellule signale la présence de la caractéristique au moyen d’une salve d’impulsions nerveuses - une succession de ce qui est appelé « piques ». La séquence exacte est faite au hasard ; si vous montrez la même caractéristique à la même cellule elle déchargera à nouveau aussi vigoureusement mais il y a une nouvelle séquence au hasard qui n’est pas identique à la première. Ce qui semble compter pour la reconnaissance n’est pas ce qu’est le schéma exact des impulsions nerveuses mais quels neurones déchargent et combien ils déchargent; un principe connu sous le nom de « loi de Muller ».
 
 
Ceci est l’histoire standard, mais une nouvelle découverte étonnante faite par Wolf Singer et Charles Gray lui ajoute une tournure inattendue. Ils trouvèrent que si un singe regarde un gros objet (disons un lion) dont les fragments seuls sont visibles, alors de nombreuse cellules déchargent en parallèle - pour signaler les différents fragments ; et c’est ce que vous auriez attendu. Mais de façon surprenante, dès que les caractéristiques sont groupées en un seul objet (dans ce cas, un lion) toutes les successions d’impulsions deviennent parfaitement synchronisées. Nous ne savons pas encore comment cela arrive, mais Singer et Gray suggèrent que c’est cette synchronie qui dit que, quelque soit ce que « lisent » ces signaux plus hauts dans le cerveau, ces fragments appartiennent à un seul objet. Je pousserais cet argument plus loin et suggèrerais que cette synchronie permet aux successions d’impulsions d’être encodées de telle façon qu’en résulte une sortie cohérente qui est relayée au centre émotionnel (ou limbique) du cerveau, créant en vous un sursaut « Ah - regarde là - c’est un objet ». Ce sursaut vous « réveille » et vous fait tourner les yeux et vous diriger vers l’objet. Ainsi vous pouvez faire attention à celui-ci, l’identifier et prendre une action. C’est ce signal ah que l’artiste exploite quand il utilise le groupement dans ses tableaux.
 
 
Pouvons-nous tenter une analyse similaire pour nos autres lois ?
 
 
Pour une analyse détaillée, je vous renvoie à mon prochain livre The Artful Brain. Ce texte est un extrait édité du Chapitre 4.
 
 
(Un essai antérieur sur les Huit Lois a été publié dans The Journal of Consciousness Studies 6,1999 : Art and the Brain, ed. J. Goguen.)